Les élections de juin 1993 ou recensement ethnique.
En exécution des recommandations du Président français, François Mitterrand, P. Buyoya, Président du Burundi a fait adopter par référendum la constitution au mois de mars 1992. Une constitution qui acceptait le multipartisme suspendu le 23/11/1966 par le roi Ntare V, juste avant sa destitution.
Il promulgua la loi sur les partis politiques le 15 avril 1992. Chaque nouveau parti avant d’être reconnu par la loi devait souscrire à la Charte de l’Unité Nationale. Il promettait de ne pas s’appuyer sur aucune division ethnique, régionale, confessionnelle. Un parti dénommé Frodebu (Front pour la Démocratie au Burundi) demanda à être agréé. Pour la première fois le gouvernement de P. Buyoya refusa son agrément parce qu’il y avait des passages ethnistes dans ses statuts. Le pouvoir le renvoyant pour revoir ses notes. Les fondateurs du parti Frodebu sont revenus quelques jours après, ils avaient nettoyé les mauvais passages du texte et leur parti fut accepté. On verra plus tard que le Frodebu avait fait le nettoyage du texte pour faire plaisir à P. Buyoya, mais les idées ethnistes étaient restées dans les textes des dirigeants de ce parti. Ce dernier avait le discours pour distraire le pouvoir et un autre pour mobiliser ses membres.
Dès son agrément, il était visible que le Frodebu était un parti monoethnique hutu qui allait baser sa propagande sur la promotion du peuple hutu : le génocide des Tutsi. Le parti Frodebu n’aurait pas pu être agréé si on avait appliqué à la lettre la Charte de l’Unité Nationale ou la loi sur les partis politiques dont P. Buyoya lui même avait supervisé la mise sur pied. Encore une fois les textes étaient bons, mais P. Buyoya ne les appliquait pas.
Le parti Frodebu est entré en campagne électorale de juin 1993. Il était à la tête des partis qui se disaient représenter les Hutu : Frodebu, RPB, PP et PL. Le comportement ethnique du Frodebu était visible pour tout le monde, y compris P. Buyoya à moins qu’il ne soit aveugle. Le journal « Burundi Scope » n’a pas manqué de le mentionner :
« La littérature est déjà abondante sur la façon dont le Frodebu a, à la fois, canalisé les aspirations de la majeure partie du peuple burundais vers la démocratie et dévoyé en même temps nombre de Burundais vers le crime de génocide. En même temps qu’au sommet il prônait la démocratie et l’alternance au pouvoir, non seulement ses meetings étaient ponctués de nombreux messages codés empruntés à l’histoire politique génocidaire du Rwanda, mais aussi les menaces et même les agressions et tueries orchestrées par ses membres à la base, étaient fréquentes et n’étaient jamais condamnées au sommet du parti. Dans un paysage constitutionnel où les partis ouvertement tribalistes étaient prohibés, le Frodebu a récupéré les membres du Palipehutu sans leur proposer une idéologie de rechange spécifique. Ainsi, la perméabilité est restée totale entre ces deux partis, de la base au sommet. Lors des infiltrations d’assaillants d’avant les élections de 1993, la collaboration entre militants du Frodebu et assaillants réputés du Palipehutu a été mise à jour par les enquêtes les moins suspectes d’antipathie particulière à l’égard du Frodebu, notamment celles de la ligue Iteka, alors assez proche de ce parti dont provenaient nombre de ses fondateurs : Ndadaye, Karibwami, Bimazubute, Ngendahayo, etc… ».[1]
P. Buyoya ne pouvait pas s’opposer à ce que les membres du Frodebu faisaient. Les chefs de ce parti l’avaient remarqué depuis longtemps, depuis le génocide contre les Tutsi de Ntega et Marangara. Il les avait laissé tuer les Tutsi et a amnistié les bourreaux après qu’il ait intervenu tardivement. Il obéissait à tout ce que ses commanditaires européens lui disaient de faire, qui n’était pas du tout différent du programme du Frodebu.
Les membres du Frodebu disaient à haute voix qu’ils allaient tuer les Tutsi, qu’ils prendraient leurs femmes, leurs maisons et leurs terres et P. Buyoya faisait semblant de ne pas entendre cela. Des Barundi non membres du Frodebu étaient tués et accusés d’empoisonneurs et les tueurs n’étaient pas poursuivis. P. Buyoya les laissait faire. Il était président de la République pour assurer la paix et la sécurité pour tout le monde. Il devait faire en sorte qu’il y ait de l’ordre dans le pays mais il faisait autre chose.
Les Barundi devaient attendre le retour de P. Buyoya après le 25 juillet 1996 pour l’entendre dire qu’«il n’est pas de ceux à qui on demande de combattre le Frodebu ». Quel aveu et quelle arrogance, quel cynisme ! Depuis longtemps P. Buyoya était membre sympathisant du Frodebu et les pauvres burundais qui étaient derrière lui ne parvenaient pas à le croire, ils pensaient qu’il leur réservait des surprises. Ils ont attendu longtemps mais P. Buyoya n’a fait qu’accomplir « sa mission possible » plutôt la mission lui confiée, servir sur un plateau d’or le pouvoir aux terroristes génocidaires à deux reprises. L’ethnisme du parti Frodebu avait été dénoncé par beaucoup de citoyens y compris celui qui dirigeait le parti Uprona, Nicolas Mayugi, avant et pendant la période électorale.
D’abord d’une manière imprécise, N. Mayugi, alors qu’il était en campagne électorale pour P. Buyoya, le 22/11/1992 dans la province de Cibitoke, commune Buganda, il a critiqué le discours de certains membres des partis qu’il ne voulait pas nommer en ces termes :
« Ubu, hariho Abarundi bamwe bamwe, bishimikije imigambwe imwe imwe yemerewe, barondera kuvyura urwanko mu gihugu, ngo niyo demokrasi ; barondera kuvyura ka gatima kabi ko kwihorana, ngo niyo demokrasi, barondera gusubira kuryanisha amoko, ngo niyo demokrasi, barondera kugumura abantu n’ukurenga amategeko, ngo niyo demokrasi ».[2] (Il y a maintenant certains Barundi, qui s’appuient sur quelques partis agréés, qui cherchent à réveiller la haine dans le pays en disant que c’est cela la démocratie, qui cherchent à réveiller le mauvais esprit de vengeance, en disant que c’est cela la démocratie, qui cherchent les confrontations ethniques, en disant que c’est cela la démocratie, qui poussent les gens à la révolte et le non-respect de la loi, en disant que c’est cela la démocratie).
Il disait qu’il fallait empêcher ces gens de continuer :
« Abo bantu dutegerezwa kubatesha ako kabi mu gushengeza ivyo bavuga n’ivyo bakora imbere y’abanyagihugu, bo bahanuye imbere y’ukwemeza Ibwirizwa-Shingiro bavuga bati : Uku mushinga imigambwe myinshi kwose, murarabe neza ntimuze mudusubize mu ndyane mbi z’amacakubiri, ntimuze mudusubize mw’ihumbi ».[3] (Nous devons empêcher à ces gens de commettre ce mal, en dénonçant devant la population ce qu’ils disent et ce qu’ils font à la population, elle qui, avant l’adoption de la Charte de l’Unité avait conseillé en disant ceci : autant vous acceptez beaucoup de partis, autant faites attention pour que vous ne nous faites pas retourner dans les querelles de division ethniques, ne nous faites pas reculer).
[1] Journal « Burundi Scope » n° 15 du 22 août 1997.