Genocide contre les Tutsis a KARUZI octobre 1993

Province Karuzi

« C’est la journée du 21 octobre 1993, que le gouverneur, ses conseillers et les différents administrateurs communaux ont parcouru toute la province pour mettre en place la machine à tuer ».[1]

La province de Karuzi qui a eu plus de victimes tutsi de toutes les provinces.

Deux communes ont été gravement touchées par le génocide contre les Tutsi dans la province Karuzi. Il s’agit de Bugenyuzi et Gihogazi où plus de 95% de Tutsi ont été massacrés. Un témoin parle de la chronologie de ces massacres dans la commune de Bugenyuzi.

« Le massacre a en effet commencé dès le 21 octobre le matin sous les ordres directs du conseiller du gouverneur, Jean Pierre Hangayika… A la fin de la journée du 21 octobre, ils avaient déjà tué tellement de Tutsi que Jean Pierre Hangayika lui-même et l’Administrateur Ntahimpera Gaspard ont ordonné d’amener tous les autres à la rivière Ndurumu pour les jeter dedans parce qu’il n’y avait plus de place dans les fosses communes de Bugenyuzi.(Ntahimpera se trouvera plus loin sur la liste des prisonniers qui menaceront de dénoncer l’organisation du génocide contre les Tutsi par le Frodebu, s’ils ne sortent pas de la prison). J.P. Hangayika a présidé les tueries jusqu’au 24 octobre sans discontinuer. Il était partout accompagné de l’Administrateur communal de Bugenyuzi, qui avait donné le coup d’envoi en recherchant et en rassemblant tous les Tutsi, en particulier les hommes. Il était aussi avec le Directeur des écoles primaires de Bugenyuzi, Ndabadugaritse Claver… Le 24 octobre, J.P. Hangayika a donné ordre partout dans la commune de tuer les Tutsi et de n’épargner personne, même les petits enfants, jusqu’au fœtus en disant que « l’œuf d’un serpent est aussi un serpent ». Il a annoncé cela à Bugenyuzi en allant chercher le peu qui avait réussi à se cacher dans les maisons des prêtres de la paroisse… C’est alors qu’on a massacré tous les enfants et toutes les vieilles femmes qui étaient restés. Après le 24 octobre, les tueurs ont traqué les quelques rares réscapés Tutsi et les ont tués un à un ou par groupes. C’est ainsi que tous les enfants tutsi de sexe masculin qui étaient restés cachés chez les prêtres de la paroisse ont été tués par petits groupes jusqu’au lundi 25 octobre. A partir de cette date, il ne restait plus que quelques filles. Celles-là ont commencé à vivre un autre enfer. Elles avaient assisté au massacre de leurs parents, de leurs frères, et elles étaient soumises tous les jours à la torture par les tueurs qui venaient les chercher pour les tuer. Les choses sont restées ainsi pendant trois semaines et demie jusqu’à l’arrivée des militaires. Il est à noter que les militaires ne sont arrivés à Bugenyuzi que le 12 novembre, trois semaines après le déclenchement des massacres. C’est la raison pour laquelle ils n’ont même pas pu limiter les dégâts et que la quasi-totalité des Tutsi de la commune a été massacrée ».[2]

En commune de Gihogazi tous les Tutsi ont été tués et jetés dans la rivière Ruvubu en disant aux victimes qu’ils recevaient le ticket pour retourner en Egypte où elles sont venues. Même les Rwandais tutsi qui étaient dans la commune ont été massacrés.

Ce sont les quelques exemples du rôle négatif joué par quelques gouverneurs de province dans le génocide des Tutsi d’octobre 1993. Ayant reçu les ordres des gouverneurs provinciaux, les administrateurs communaux et les agents communaux membres du Frodebu les exécutaient par la suite. A ce niveau la manière de procéder étaient aussi la même.

La commune de Rutegama en province de Muramvya est une des communes qui a été les plus touchées. Le rapport de l’ONU n° S/1996/682 parle :

« Selon le rapport de la FIHD, le Gouverneur a reconnu que des Tutsi avaient été pris en otages le jeudi 21 octobre, réunis au chef-lieu (de la commune Rutegama) et tués dans la soirée et que des femmes et des enfants avaient été tués le lendemain, estimant le nombre de morts à 200. Selon le rapport, les sources tutsies confirment que presque tous les Tutsi de la commune ont été tués. Les témoins tutsi disent que l’Administrateur communal a participé aux assassinats ».[3]

Le même rapport indique que « l’administrateur communal a invité les Tutsis et les Hutus de l’Uprona à se réunir au chef-lieu pour une réunion de réconciliation. Ceux qui sont venus ont été ligotés à 14 heures (du 21/10/1993). Les hommes ont été placés dans une salle communale et dans les cellules, les femmes dans un bureau. Les hommes ont été tués le jour même, les femmes le lendemain. Les corps ont été jetés dans des latrines ou enterrés dans des charniers ».[4]

C’était le même comportement dans la province de Ngozi. Le rapport de l’ONU n°S/1996/682  raconte  ce qui s’est passé en commune Mwumba :

« Selon le rapport de la FIDH, les Tutsis de la commune ont été rassemblés et massacrés. Dans la moitié des collines seulement, 712 Tutsis ont été tués. Les représentants du Frodebu sont venus par deux fois de Ngozi, le matin du jeudi, pour couper les routes, et l’après-midi, pour arrêter des Tutsis. Trente Tutsis ont été rassemblés à Kiziba et massacrés. De nombreux Tutsis ont été tués, leurs corps jetés dans la Kanyaru. Les Hutus de l’Uprona qui avaient été également appréhendés ont été mis en liberté. A Vyegwa, 48 corps ont été découverts sur la colline Rwabiriro. Sur cette colline, des Tutsis ont été tués devant l’école primaire ».[5]

Les membres du Frodebu ont profité de l’obéissance et le respect que normalement les citoyens doivent avoir envers leurs dirigeants, ils ont appelé les Tutsi dans des réunions fictives pour les tuer. C’est un crime grave de la part de ces autorités. Les autorités provinciales et communales avaient non seulement fait des réunions de préparation du génocide mais avaient cherché aussi le matériel pour l’exécution du génocide (les machettes, les cordes, l’essence, les machines pour tronçonner les arbres, des sifflets, des tambours, des mégaphones, des motos et des véhicules).

Certains témoignages parlent aussi des responsables de Bujumbura qui montaient à l’intétieur pour préparer ce génocide avant le 21octobre 1993.

En commune Mubimbi, province de Bujumbura rurale par exemple : «  Après les élections, les cadres du Frodebu ressortissants de Mubimbi intoxiquaient la population en leur disant que des coups d’Etat  se préparaient, mais qu’il fallait lutter contre jusqu’à la dernière goutte desang contre les Batutsi. C’est le cas de l’ambassadeur Jacques Ngendakumana et l’ambassadeur Joseph Bangurambona… ».[6]

Un cas intéréssant est à mentionner pour la commune de Rango, commune natale de Ndikumwami Richard, chef de la Documentation Nationale (police présidentielle) pendant la présidence de M. Ndadaye.

« On se souviendra également que, déjà le 18 octobre 1993, 3 jours avant les massacres en commune de Rango, Mr Ndikumwami Richard accompagné de Mr Sendegeya Christian, respectivement ex-Administrateur Général de la Documentation et son adjoint, s’étaient rendus en commune de Rango. Là ils ont révélé qu’un putsch se préparait et que les Hutus devaient alors passer à l’action en exterminant les Tutsi et les Hutus de l’opposition. Les deux personnages venaient de donneer les mêmes enseignements  dans d’autres coins comme au chef lieu de la province Kayanza ». [7]

Un mot de ralliement prononcé par J. Minani dans son discours du 21/10/1993, revenait dans la bouche des bourreaux partout où ils tuaient les Tutsi : « HAGARARA BWUMA ! » (debout comme du fer !). C’est ce que Shadrack Niyonkuru leur a dit aussi le 22/10/1993. Le language des génocidaires était le même, le même que le Frodebu et son Président M. Ndadaye, utilisaient pendant la campagne électorale.

–           ISEKEZA ry’ukwica Abatutsi n’Abahutu bahemutse ryatanguye (la campagne pour tuer les Tutsi et les Hutu « traitres » a commencé).

–           Isango ryageze (le jour du rendez-vous est arrivé). On voit qu’ils s’étaient dit qu’il faut se préparer.

–           Rwa rubanza rwageze – (le jour du programme prévu est arrivé).

–           Hagarara bwuma, twikureko abansi n’ivyitso vyabo. (Soyez debout comme du fer pour que nous nous débarrassions de nos ennemis et de leurs complices cachés parmi nous).

–           Nivo ni ugutwi (le niveau c’est l’oreille). Ce mot codé voulait dire qu’il faut couper la tête au niveau de l’oreille. C’est un mot qui était répété pendant la campagne électorale par les membres du Frodebu. Ils montaient leurs points en florant l’orielle.

–           Susuruka (rechauffez-vous, sur le bûcher). Pendant la campagne on répétait aussi ce mot, pour dire à leurs membres qu’il ne faut pas avoir peur, froid. Au moment du génocide les membres du Frodebu le prononçaient quand les Tutsi brûlaient.

–           Bahe itike yo gusubira iwabu mu Misiri (donnez-leur le ticket pour retourner chez eux en Egypte).

–           Mara ikotanyi (exterminez les Inkotanyi). Les génocidaires du Frodebu ne font pas de différence entre les Tutsi du Burundi et du Rwanda.

La campagne électorale de juin 1993 était une simple répétition de ce qui allait se faire pendant le génocide. Même le ralliement était souvent répété la nuit, des membres du Frodebu se mettaient à battre les tambours, les casseroles et à utiliser les sifflets pour voir jusqu’où le message pouvait arriver. Le 21 octobre 1993, tout était déjà prêt. Ils n’attendaient que le signal. J. Minani, S. Niyonkuru, les gouverneurs et les autres membres du Frodebu, l’ont donné le 21 octobre 1993.