Burundi: Quelle est la vérité sur les tueries de 1972? (troisième partie)
Nous avons déjà montré que le recours au génocide auquel font souvent les extrémistes hutus date du temps de la colonisation belge, et que le modèle rwandais de 1959 est la grande référence qui revienne souvent à l’esprit de ces gens. Maintenant qu’ils ont le pouvoir en main, et qu’ils ont chassé la majorité des tutsis influents et que ceux qui restent au pays ont été très affaiblis dans tous les domaines, l’idée de les exterminer n’a pas encore quitté leur mémoire. Nous avons parlé des tentatives qui ont eu lieu depuis l’indépendance jusqu’en 1971 ; c’était tantôt des cartes ethniques, tantôt des cartes régionales qui étaient jouées pour déstabiliser le pouvoir et ainsi passer à l’action. Nous terminions notre édition d’hier sur cette carte régionale Bururi-Muranvya-Jenda avec la bravoure de Leonard Nduwayo qui a refusé de condamner des gens sans preuves comme il était d’habitude.
Nous aborderons aujourd’hui une période très chaude qui commence avec le 29 avril 1972, date restée en mémoire des hutus comme un début de ce qu’ils ont appelé génocide des hutus de 1972. Nous allons parler de comment les choses ont été organisées, comment elles ont commencé ce jour-là et quelle a été la suite des évènements.
Le 29 Avril 1972
Ce jour-là, tous les témoignages convergent sur le fait que le gouvernement avait organisé des soirées dansantes dans presque tout le pays. Dans la capitale Bujumbura, certaines soirées étaient organisées même dans certains quartiers. A l’intérieur du pays, les soirées devraient se dérouler aux chefs-lieux des provinces, d’arrondissement et des communes par endroit. Etaient conviés à ces soirées, tous les cadres de ces centres : personnalités politiques, militaires, administratifs, judiciaires, enseignants, hommes d’affaires, étudiants, bref tous ceux que comptaient ces quartiers de la capitale et des chefs-lieux des différentes provinces. C’est le président Michel Micombero qui devrait ouvrir la soirée dansante qui devrait avoir lieu au Mess des officiers Garnison de Bujumbura. L’objectif officiel de ces soirées n’était que de se divertir ensemble, partager un verre et faire une sorte de réconciliation après tant de problèmes qui venaient de secouer et qui secouaient encore la société burundaise
Qui avaient organisé ces soirées et pour quel objectif réel ?
Tous les témoignages convergent à dire que c’est après le déroulement des faits qu’ils ont compris qu’un génocide avait été minutieusement préparé pour exterminer tous les tutsis, y compris le chef de l’Etat. C’est pourquoi ils avaient convié à ces soirées dansantes presque tous les fonctionnaires tutsis. Il est dit que même les officiers tutsis, commandant d’unités et autres avaient reçu des congés pour se rendre chez eux afin de participer dans ces soirées dans leurs provinces et communes, une sorte de fraternisation avec les amis et voisins. C’est dans ce cadre que le commandant de la compagnie commando de Gitega a failli mourir chez lui à Vyanda.
Ceux qui ont organisé le coup étaient sans nulle doute des hauts fonctionnaires hutus de l’Etat ; dont des ministres et officiers. Certains témoignages affirment que cette action était aussi soutenue par certaines ambassades au Burundi. Un conseiller d’ambassade d’un pays X avait alerté, le 28 avril 1972, le président Micombero sur un probable coup d’Etat planifié par les gens de Bururi.
Cela nous amène justement à se poser la question de savoir comment une telle action (organisation des soirées dansantes dans tout le pays dans le but de tuer des tutsis) soit organisée et autorisée par le président Micombero l’insu de ses services de renseignement. Beaucoup d’analystes trouvent que ses services, et même le président, avaient été désorientés. Ils étaient focalisés sur la gestion des problèmes régionaux ( Bururi-Muramvya- Jenda), un probable retour de la monarchie avec le roi Ntare v et d’autres coups d’Etats qui pouvaient se produire. Personne ne pensait qu’un soulèvement des hutus d’une telle ampleur pouvait avoir lieu. Sinon, le président Micombero aurait pris des précautions en conséquence. Il n’aurait pas par exemple autorisé les soirées dansantes et les congés pour les militaires. Ce qui semble contredire la thèse souvent avancée par certains hutus extrémistes qui ne cessent de dire que c’était un montage de Michel Micombero pour avoir un prétexte de tuer des hutus innocents. Mais, il semble que le président aurait été surpris par quelque chose qui l’a poussé à limoger tout le gouvernement sans que personne n’en soit informé. Là aussi, la réponse se trouve dans cette peur des coups d’Etat
Les concepteurs de ce génocide des tutsis avaient réussi leur organisation. En effet, les informations recueillies parlent de certains planificateurs intérieurs comme les ministres Pascal Bubiriza, chez qui l’on découvrit une carte hachurée indiquant les régions de grande concentration tutsie, et Martin Ndayahoze, ainsi que le capitaine Burasekuye.
Un parti avait été créé : le parti Populaire Burundais (PPB) qui comptait une branche « jeunesse », la Jeunesse du Parti Populaire Burundais (JPPB).
La rébellion hutue mise en place était appuyée par des éléments zaïrois de l’ancienne rébellion muleliste recrutés dans l’ethnie babembe, qui occupait la plaine de la Ruzizi et la région du sud du Burundi. Comme les mulélistes, les rebelles hutus absorbaient des stupéfiants qui les rendaient invulnérables et invincibles, croyaient-ils. Ils recouraient à l’absorption de chanvre et à des rituels d’immunisation magiques. Ils avaient le dos couverts de tatouages. On sait qu’un muléliste bien connu, Martin Kasongo, prit une part active à la rébellion hutue. Ces rebelles utilisaient des armes automatiques, des explosifs, des machettes et des lances.
Du côté de la Tanzanie, on parle d’un étudiant nommé Célius Mbasha et d’un ancien député Ezéchias Biyorero ( d’autres disent que c‘est le capitaine Birorero dont on parlait dans notre édition d’hier qui a fui vers la Tanzanie après avoir échoué le coup) , tous deux réfugiés en Tanzanie depuis 1965 qui organisaient la rébellion. Les camps d’entrainement se trouvaient dans la forêt de Kagunga.
Des tracts appelant à l’extermination totale des tutsis avaient été préparés en langue nationale. Nous vous en proposons la traduction en français :
- Debout tous comme un seul homme. Armez-vous de lances, de serpettes, de machettes, de flèches et de massue et tuez tout tutsi où qu’il se trouve.
- Que tous nos partisans s’unissent pour exterminer jusqu’au dernier tutsi, qu’il soit militaire ou dirigeant.
- Attaquez-vous aux ministres, aux gouverneurs, aux commissaires, aux administrateurs, aux conseillers, aux cadres du parti uniquement tutsi. Massacrez-les avec leurs femmes et enfants, n’hésitez pas à éventrer les femmes enceintes.
- Rivalisons de courage, de discipline, d’agilité pour exterminer tout homme, toute femme et tout enfant de l’ethnie tutsie et que l’histoire n’en parle plus.
- Pas d’emprisonnement, pas de jugement pour les tutsi. Tous, femmes, et enfants dans la tombe!
Nous réservons la suite pour notre édition de demain où nous parlerons du déroulement des actions en date du 29 avril 1972.
URN HITAMWONEZA regrette encore une fois que des burundais, hutus et tutsis soient tués et qu’aucune lumière ne soit faite pour juger et sanctionner les coupables. Nous demandons aussi que ceux qui prennent des prétextes sur ces tueries du passé pour se venger sur les générations actuelles qui ne savent rien de ce qui s’est passé soient doublement sanctionnés, aujourd’hui ou demain. Nous avons besoins de la vérité et une justice pour condamner uniquement les coupables et donner la paix à la majorité des burundais aux mains propres.