Burundi: La Belgique a une grande responsabilité historique dans les tueries et génocides dans la région des grands lacs (Deuxième partie).
Nous continuons notre démarche pour montrer la part de responsabilité de la Belgique dans les conflits ethniques qui minent la sous-région en général et le Burundi en particulier. Nous insisterons aujourd’hui sur le chambardement de l’administration traditionnelle pour instaurer une administration en leur faveur, qui respecte les ordres du colonisateurs sans résistance aucune. En limogeant l’administration existante, la Belgique a du coup créé un litige entre les gens, estimant qu’il y a une catégorie qui n’est pas capable de diriger par rapport à une autre alors qu’à son arrivée tout était en ordre. Voilà l’origine de la haine des hutus envers les tutsis ; des ethnies créées par les belges dans sa politique de ‘’diviser pour régner’’, ce qu’ils ont appelé ethnies étant au paravent des classes sociales qui vivaient en complémentarité dans l’entente totale.
Revenons alors sur les détails de ce chambardement de l’administration par les belges. Nous vous reproduisons les écrits de Tharcisse Songore sous le titre ‘’Le Burundi sous l’administration belge’’
A leur arrivée, les Belges adoptent le système d’administration indirecte hérité de l’occupation allemande. C’est-à-dire qu’à la structure administrative traditionnelle constituée du Roi(Mwami), des Chefs(Baganwa) et des Sous-Chefs( Batware), les Belges superposent leur propre structure qui connaîtra quelques modifications au cours des 46 ans de leur présence au Burundi.
A partir du 21 août 1925, date à laquelle le Parlement belge vote une « loi-cadre » rattachant le Ruanda-Urundi à la colonie belge du Congo, le Ruanda-Urundi devient un Vice-Gouvernement du Congo Belge. Ainsi, à partir de cette date et pour longtemps encore, l’administrateur belge du territoire sous tutelle portait le titre de Vice-Gouverneur Général du Congo Belge et du Ruanda-Urundi, Gouverneur du Rwanda-Urundi.
Il était secondé par le Résident de l’Urundi et le Résident du Ruanda, lesquels étaient épaulés, à leur tour, par des administrateurs territoriaux. Après la réforme administrative initiée en 1929, le Burundi était organisé en 18 territoires, chaque territoire comprenant deux chefferies, entités politiques et administratives traditionnelles
Avec la colonisation, le rôle traditionnel des chefs consistant essentiellement à rendre hommage au Roi, à lever des armées pour défendre l’intégrité du Royaume en cas de guerre et à veiller à la coexistence harmonieuse de ses sujets, notamment en tranchant les nombreuses palabres liées au bétail et aux propriétés foncières, ce rôle a connu un changement fondamental. Désormais, les autorités traditionnelles doivent répondre aux besoins de l’administration coloniale en matière de collecte d’impôts, de recensement de la population, de mobilisation de la même population pour des travaux forcés (corvées) d’utilité collective ou individuelle.
Dès 1923, le Résident Pierre Ryckmans envisage une réforme de l’organisation administrative traditionnelle pour la rendre plus efficiente dans la transmission des ordres et directives des agents administratifs belges à la population. La nécessité de cette réforme était dictée par le constat suivant : le pays était morcelé en un grand nombre de chefferies sans limites géographiques définies (133 chefferies en 1929) ; l’autorité de certains chefs s’étendait sur des domaines enclavés dans des territoires dépendant d’autres chefs ; certains chefs étaient incompétents et inaptes.
La réforme administrative aura donc pour objectif le regroupement des entités administratives en des entités plus larges, plus viables, limitées par des repères topographiques naturels : rivières, sommets de colline etc. La réforme va également destituer les chefs incompétents et/ou indignes.
En 1929, la réforme administrative fut en tête du programme politique des autorités belges. Si les critères de regroupement des chefferies étaient bien définis et objectivement vérifiables, certains des critères qui devaient conduire au maintien, à la promotion ou à la destitution d’un chef étaient incontestablement subjectifs. Une enquête fut menée dans ce cadre. Les chefs étaient jugés sur base de plusieurs critères, notamment leur degré de culture et d’ouverture à la civilisation européenne, leur origine et leur manière d’assurer le commandement. Les chefs ayant bénéficié d’une certaine instruction à l’école des Allemands ou ayant fréquenté les écoles officielles mises en place par les Belges dès le début de leur mandat étaient considérés comme bons.
Les autorités attachées aux pratiques rituelles traditionnelles, qualifiées de païennes et incompatibles avec la civilisation européenne furent disqualifiés.
Les critères qui ont prévalu dans le choix des chefs furent incontestablement l’origine et l’aptitude à commander. De ce point de vue, il faut préciser que les préjugés des autorités belges concernant l’aptitude innée des Baganwa et des Batutsi à commander et, au contraire, la tendance naturelle des Bahutu à se laisser dominer furent fatales à la participation des Bahutu au pouvoir.
Ces préjugés étaient consignés dans les rapports administratifs des agents belges tel celui de J.M Detscheid, Administrateur Territorial à Bururi en 1929, qui affirme : « Il est certain que les Batutsi sont plus intelligents, également indifférents, plus brutaux et plus énergiques que les Bahutu ; leur autorité vient beaucoup de ces qualités et même de ces défauts…Placer un Muhutu ‘’intelligent’’ à la tête d’une chefferie est toujours risqué d’avance. » Gahama p.81. Pierre Ryckmans, Résident de l’Urundi renchérit : « Les Batutsi étaient destinés à régner, leur prestance leur assure déjà, sur les races inférieures qui les entourent, un prestige considérable ; leurs qualités et même leurs défauts les rehaussent encore (…). Ils sont d’une extrême finesse, jugent les gens avec une infaillible sûreté, se meuvent dans l’intrigue comme dans leur élément naturel. Fiers avec cela, distants, maîtres d’eux-mêmes, se laissant rarement aveuglés par la colère, écartant toute familiarité, insensible à la pitié et d’une conscience que les scrupules ne tourmentent jamais. Rien d’étonnant que les braves Bahutu, moins malins, plus simples, se soient laissés asservir sans esquisser un geste de révolte. »
Cette restructuration administrative sera achevée en 1945, et l’administration implantée restera fonctionnelle jusqu’à la veille de l’indépendance.
URN HITAMWONEZA reconnait que la Belgique a passé outre les recommandations de la Société des Nations en bouleversant une administration bien structurée et acceptée de tous et a implanté une autre après avoir semé des divisions à base ethnique au sein de la population qui vivait en harmonie. La Belgique est par conséquent à l’ origine de ces conflits ethniques récurrents dans notre sous-région. Il n’est pas non plus exclut qu’il n’ait continué à les attiser d’une manière ou d’une autre après l’indépendance jusqu’à la démocratisation. Avec le système électoral ‘’un homme, une voix’’, dans nos pays où le taux d’analphabétisme est élevé, la majorité numérique dominera toujours ; et malheureusement, avec un niveau faible de compréhension de la démocratie, la tendance sera toujours de vouloir éliminer la minorité en opposition. D’où les tueries qui vont jusqu’au génocide qu’on observe en Afrique. Le Belgique devrait donc faire le mea culpa et s’apprêter à payer un jour pour le tort qu’il a causé au Burundi et aux autres pays de la région.